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Christine Gonzalez

Stop Covid : « un million d'utilisateurs » et quelques réserves non dissipées

Stop Covid : « un million d'utilisateurs » et quelques réserves non dissipées

Béatrice Siadou-Martin, Université de Lorraine; Christine Gonzalez, Le Mans Université; Inès Chouk, CY Cergy Paris Université; Jean-Marc Ferrandi, Université de Nantes et Zied Mani, Université de Nantes

Les outils de traçage des contacts nécessitent un taux d’adoption élevé pour fonctionner efficacement. Thomas Samson / AFP

Disponible depuis le 2 juin, l’application StopCovid, qui avertit son utilisateur d’un éventuel contact avec une personne infectée par le coronavirus, a dépassé le « cap du million d’utilisateurs », a annoncé le 6 juin Cédric O, secrétaire d’État au numérique. Lors de sa prise de parole, ce dernier a également précisé que ce chiffre correspondait à l’activation de l’application et non à son simple téléchargement.

Mais derrière cette adoption subsistent toujours des craintes liées à une dérive potentielle de son utilisation vers la surveillance de masse. De plus, des interrogations sur son utilité réelle persistent.

Notre analyse des commentaires spontanés laissés sur les sites de presse et les réseaux sociaux nous permet de constater que les réactions la concernant sont controversées. Ainsi, loin d’être consensuelle, l’application soulève questions et défis quant à son adoption par la population.

Une efficacité liée au taux d’adoption

Dès 2019, dans ses recommandations sur le recours aux technologies numériques pour améliorer la santé des populations, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) soulignait tout le potentiel des outils digitaux pour établir des relations plus personnalisées avec les patients.

Dans le contexte de déconfinement, les applications mobiles font partie des dispositifs possibles pour analyser, contrôler ou conseiller les individus, et ainsi éviter un rebond épidémique.

L’efficacité de ces applications « servicielles », qui construisent leur proposition de valeur sur l’utilité et la praticité et cherchent à faire de « bons comportements » par les individus, a été étudiée dans le domaine de la santé (lutte contre l’obésité, appropriation des solutions thérapeutiques) ou de la consommation durable (lutte anti-gaspillage).

Ces outils sont de deux natures : conseil ou contrôle. Dans le cas de la crise du Covid-19, selon le think tank Terra Nova, elles ont pour rôle de « permettre un suivi individualisé de l’épidémie et d’automatiser les contrôles jusqu’alors assurés manuellement par les autorités sanitaires ».

En effet, le « contact tracing » (traçage des contacts) est un dispositif de santé publique utilisé dans la surveillance et la lutte contre la propagation des virus qui, à l’origine, repose sur le travail d’enquêteurs. Avec la pandémie de Covid-19, le débat s’est focalisé sur les applications mobiles pour automatiser ce contact.

Le principe est le suivant : une fois installée sur le smartphone, l’application mémorise les personnes croisées (à moins d’un mètre pendant 15 minutes), volontairement ou non. Elle enregistre ainsi tous les contacts que chaque utilisateur a eus avec d’autres personnes équipées de l’application. Si un individu de la chaîne de contacts se déclare positif sur l’application, celle-ci informe ses membres via une notification.

Les personnes alertées peuvent se faire dépister et reçoivent des conseils sur le bon comportement à adopter, à savoir : s’isoler, limiter ses déplacements, porter un masque et consulter un médecin afin de briser les chaînes de transmission du virus.

Ainsi le succès de l’application est notamment conditionné à l’adoption massive de l’outil et à la bonne foi des utilisateurs (accepter de se déclarer positif au virus), ce qui pose les questions du caractère volontaire de son téléchargement et de la technologie utilisée (GPS, Bluetooth, stockage des données, etc.).

À ce jour, plusieurs pays ont étudié cette piste et mis en œuvre des solutions digitales de lutte contre la propagation du Covid-19. La note de l’ancien secrétaire d’État Mounir Mahjoubi permet d’identifier quatre critères essentiels pour les distinguer :

  • le caractère obligatoire ou non de leur utilisation ;

  • l’objectif poursuivi : cibler l’individu (gérer la contamination individuelle) ou le collectif (savoir où mener des campagnes de tests) ;

  • le comportement souhaité de l’utilisateur : rester confiné, se tester ou éviter les zones à risque ;

  • l’usage des données : transmission des informations à l’individu uniquement ou à des tiers.

Le taux d’adoption de ces applications reste faible dans certains pays comme Singapour où seulement 19 % des citoyens en sont équipés. De plus, il reste difficile d’établir le pourcentage auquel il devient efficace. En effet, malgré un taux de 40 % en Islande, « cela n’a pas changé la donne » ; pire, certaines tentatives se sont soldées par des piratages, comme au Qatar.

Le 25 mai dernier, Cédric O estimait néanmoins que l’application StopCovid se révèlerait efficace « à partir de 10 % de personnes qui l’utilisent dans un bassin de vie » du fait de son « efficacité systémique pour diminuer la diffusion de l’épidémie ».

Quid de l’application « made in France » ?

En France, ces dernières semaines, les médias se sont fait l’écho des débats politiques, des prises de parole des experts techniques évoquant les dangers potentiels de ces applications. La Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) a estimé que :

« (Une application comme StopCovid) peut être légalement déployée dès lors qu’elle apparaît être un instrument complémentaire du dispositif d’enquêtes sanitaires manuelles et qu’elle permet des alertes plus rapides en cas de contact avec une personne contaminée, y compris pour des contacts inconnus. »

Les craintes restent néanmoins vives et motivent des mouvements de résistance plus ou moins organisés. La quadrature du net, association de défense des libertés sur Internet, appelle ainsi à un rejet total de l’application. Sur Twitter, un compte parodique reprend et détourne les codes de communication officiels pour la promouvoir.

L’organisation non gouvernementale Bayes Impact a conçu le site Briser la Chaîne pour « participer à préserver la santé de ses usagers tout en veillant à garantir leur droit au respect de la vie privée ». Elle propose un système d’accompagnement individuel pour aider le malade à se souvenir pas à pas des personnes avec qui il a été en contact durant sa période de contagiosité.

Ces initiatives témoignent du fossé entre le discours officiel et les réactions des internautes. L’analyse de ces réactions sur les réseaux sociaux et dans les commentaires d’articles de presse permet d’identifier trois types de freins à l’adoption de l’application : politiques, fonctionnels et liés aux préoccupations pour la vie privée.

Les discours font apparaître un manque de légitimité des autorités au niveau des compétences et des objectifs : quelles sont les intentions gouvernementales ? L’application restreint-elle les libertés ?

Les individus craignent donc d’être surveillés individuellement comme collectivement et perçoivent ces applications comme fortement intrusives, car elles supposent un contrôle de chacun et une collecte des données. De plus, elles possèdent un caractère culpabilisant, voire infantilisant.

Au-delà de ces considérations, des usagers se posent des questions quant à l’utilité et l’efficacité de ces applications dans la lutte contre le Covid-19.

Toutefois, il existe des internautes favorables à l’application, mais ces derniers mettent en balance ces freins avec des préoccupations d’ordre économique et sanitaire. Par peur de voir l’épidémie se poursuivre et la crise économique s’amplifier, certains sont prêts à accepter cet outil, mais seulement s’il permet de réduire véritablement les risques et les impacts encourus. Or, comment le leur garantir ?

Répondre officiellement aux craintes

Une solution digitale techniquement performante sur le papier peut se révéler inefficace si la population n’y adhère pas sur le principe. La prise en compte des aspects psychologiques est cruciale pour comprendre et anticiper le comportement des citoyens face à leur résistance aux innovations technologiques.

Ainsi, accompagner la mise en place d’une application de « contact tracing » implique de créer un environnement socioculturel favorable ainsi qu’une communication adaptée à son téléchargement.

Trois pistes d’arguments sont mobilisables dans une communication officielle :

  • le bénéfice : la communication doit-elle mettre en avant un bénéfice individuel-égoïste (protéger sa propre santé) ou un bénéfice collectif-altruiste (éviter la propagation du virus) ?

  • les garde-fous technologiques : face aux préoccupations en matière de vie privée, comment garantir la transparence quant au devenir des données recueillies ?

  • la source de la solution technologique : l’analyse des discours en ligne montre l’importance de la fiabilité et de l’expertise de la source et donc de sa crédibilité. À quelle source faire confiance sans avoir peur d’être trompé ou manipulé ? Quelle source mettre en avant dans la communication pour l’adoption de l’application ?

Ces arguments en matière de communication sont à prendre avec précautions, car une autre forme de résistance peut se manifester envers les messages publicitaires incitant à son adoption. Cette résistance à la publicité remettrait en cause l’efficacité des modes de communication utilisés.

Ainsi, seule une analyse approfondie de la corrélation entre contenu des messages gouvernementaux et taux d’adoption réel de l’application StopCovid nous permettra de juger de l’efficacité de la communication contre la défiance actuelle des Français.

De plus, une analyse de l’évolution du nombre de téléchargements et de l’utilisation effective de l’application sur la durée restera nécessaire pour conclure sur la capacité du gouvernement à convaincre les résistants de la première heure.The Conversation

Béatrice Siadou-Martin, Professeur des universités en sciences de gestion, Université de Lorraine; Christine Gonzalez, Professeur des universités en sciences économiques et de gestion, Le Mans Université; Inès Chouk, Enseignante-chercheuse à Paris Cergy Université / Résistance aux innovations technologiques, CY Cergy Paris Université; Jean-Marc Ferrandi, Professeur Marketing et Innovation à Oniris, Université de Nantes et Zied Mani, Maître de Conférences en Sciences de Gestion, Université de Nantes

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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