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Économie sociale et solidaire, 10 ans après la loi, où en est-on ?

Économie sociale et solidaire, 10 ans après la loi, où en est-on ?

Crédit photo : Shutterstock

La loi sur l’économie sociale et solidaire (ESS) adoptée le 31 juillet 2014 a apporté une reconnaissance juridique à un modèle organisationnel s’appuyant sur quelques principes fondamentaux : la gouvernance démocratique (ou participative), la non lucrativité ou lucrativité encadrée, l’utilité sociale. L’ESS regroupe ainsi des associations, des coopératives, des mutuelles, des fondations et des sociétés commerciales qui en respectent les principes. 10 ans plus tard, quels ont été les impacts de la loi ?

L’action pionnière de l’association pour le développement des données sur l’économie sociale (ADDES) a contribué à améliorer la connaissance chiffrée de l’ESS qui est aujourd’hui assez bien documentée par l’Insee, l’Institut National de la Jeunesse et de l’Éducation populaire (Injep), l’observatoire de l’ESS (notamment à travers un atlas commenté de l’ESS et des travaux réalisés par les mouvements de l’ESS et les universitaires qui travaillent sur le sujet.

Ces différentes contributions complémentaires offrent un tableau statistique assez fourni de la contribution de l’ESS, mais elles sont à considérer avec précaution. En effet, les données ne concernent pas toujours les mêmes périmètres, rappelant que la mesure statistique repose sur des visions du monde économique et entrepreneurial différentes, qui ne sont pas toujours explicites ni collectivement débattues, comme nous l’avions indiqué dans cet article.

Un développement en demi-teinte

Les données statistiques montrent que la loi sur l’ESS ne s’est pas accompagnée du développement attendu du secteur dans un environnement certes très particulier, car il a été marqué par une forte instabilité en lien avec le contexte international, les tensions inflationnistes ou l’impact de la pandémie de Covid-19.


Ces données soulignent un ralentissement des créations d’emplois dans l’ESS à la fois en valeur absolue et comparativement au reste du secteur privé. Entre 2000 et 2014, l’emploi dans l’ESS avait progressé de 24 % contre moins de 5 % dans le secteur privé hors ESS. A contrario, les chiffres montrent que les entreprises conventionnelles créent davantage d’emplois que celles de l’ESS depuis 2016. Depuis l’introduction de la loi, l’emploi salarié dans l’ESS mesuré en Équivalent Temps plein (ETP), n’a que très peu progressé et ne représente que 9,4 % de l’emploi total contre 9,9 % juste avant l’adoption de la loi.

Dans les associations, on constate une stagnation de l’emploi qui s’explique notamment par des réformes publiques qui ont fortement pesé sur leur financement. Dans les mutuelles, le nombre d’ETP a légèrement augmenté tandis que dans les coopératives, il a légèrement chuté avec des disparités importantes puisque les SCOP et SCIC se sont fortement développées, poursuivant une croissance amorcée à partir de 2012. Au sein de l’ESS, ce sont les fondations qui enregistrent une forte hausse de leurs effectifs.

Un soutien public incertain et insuffisant

L’ensemble des aides publiques aux entreprises est évalué autour de 160 milliards d’euros. Il est assez difficile d’en mesurer la part en direction des entreprises de l’ESS tant les circuits de financement sont divers. Mais on peut affirmer que cette part ne correspond pas à la place qu’occupe l’ESS dans l’emploi. Le rapport rendu par le Conseil supérieur de l’ESS sur l’évaluation de la Loi ESS souligne que « la question principale laissée ouverte par la loi de 2014 est celle des moyens dévolus aux institutions de l’ESS pour assurer leurs missions législatives et réglementaires ».

Globalement l’ESS accède peu aux politiques de réductions fiscales, de crédits d’impôts, d’exonération de taxes, qui financent largement l’économie conventionnelle. L’ESS bénéficie davantage des dépenses budgétaires prenant la forme de subventions (comme le reste du tissu économique avec les nombreuses aides aux entreprises – investissement, installation, etc.), de la défiscalisation du don aux associations ou aux fondations, d’exonérations fiscales pour les Scop et des politiques publiques liées à l’emploi en particulier dans le champ de l’inclusion par l’emploi où elle exerce un rôle structurant. Au-delà, l’ESS est souvent la grande oubliée des politiques publiques…

Un chantier serait donc à ouvrir concernant la mesure et l’évaluation des aides publiques aux bénéfices des entreprises de l’ESS, comparativement au reste des entreprises. Cela permettrait d’interroger la représentation dominante de l’ESS – et particulièrement des associations – comme économie subventionnée tant les données éparses actuellement disponibles semblent montrer un déficit d’aides publiques en direction des entreprises de l’ESS comparativement aux entreprises conventionnelles.

L’enjeu de mesurer la contribution de l’ESS au PIB

Contrairement à une idée assez largement répandue, 10 % n’est pas la contribution de l’ESS au PIB, mais la part de l’emploi de l’ESS dans l’emploi total. Selon des estimations réalisées il y a déjà une quinzaine d’années, l’ESS assurerait de 5 à 7 % du PIB. On manque de références plus récentes. La loi de 2014 n’a pas généré, comme cela était souhaité, la mise en place d’un compte-satellite de l’ESS qui permettrait d’indiquer la contribution de l’ESS au PIB. La démarche initiée en ce sens par l’Insee en 2019 dans le cadre d’un financement européen d’Eurostat, n’a pas produit de résultats à ce jour.

Certes, de nombreux travaux ont souligné les limites de l’indicateur du PIB pour évaluer l’ensemble des richesses générées, en particulier par l’ESS dont la finalité est à la fois économique et sociale, financière et extrafinancière. Néanmoins, cet indicateur permettrait d’évaluer la contribution strictement économique et comptable de l’ESS et la valeur ajoutée créée. En étant capable de se compter, l’ESS pourrait montrer ce qu’elle compte dans l’économie française et étayer sa légitimité.

Du travail à accomplir encore

La reconnaissance croissante de l’ESS de la part des grandes organisations internationales telles que le Bureau international du travail (OIT), l’Organisation des Nations unies (ONU) ou l’Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE) contribue à affirmer l’ESS comme modèle d’avenir face aux nécessaires transitions. Pourtant, à l’aune des chiffres disponibles, notre constat est que les impacts de la loi en France sont loin d’avoir atteint les objectifs affichés en termes de changement d’échelle et de transformation du monde de l’entreprise.

Le débat sur la refonte de l’entreprise, et l’introduction de la société à mission dans le cadre de la loi Pacte en 2019, tiennent d’ailleurs peu compte des garanties qu’offre le modèle entrepreneurial de l’ESS en termes de gouvernance démocratique et partagée, de répartition plus juste de la richesse créée, de contribution aux transitions et plus largement en termes d’innovation sociale. On mesure le travail qu’il reste à accomplir pour faire reconnaitre l’ESS comme un mode d’entreprise à part entière, dans un autre rapport à la coopération entre les personnes et la promouvoir comme la norme de demain.

Ces perspectives seront développées dans le numéro 372-373 de la RECMA à paraître en septembre sur Les 10 ans de loi.

 

Les auteurs :
Eric Bidet
, enseignant-chercheur en Sociologie et responsable du master Économie Sociale et Solidaire à Le Mans Université
Maryline Filippi, professeur d'économie à l'Université de Bordeaux Bordeaux Sciences Agro, Chercheur associé INRAE, AgroParisTech - Université Paris-Saclay
Nadine Richez-Battesti, Maître de conférences en sciences économiques à Aix-Marseille Université (AMU)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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